Commémorer mon entrée officielle en SP

Avant-hier matin, en écrivant la date dans mon journal — 11 janvier — je me suis arrêtée avant d’ajouter l’année. Pas parce que c’est une nouvelle année et que je refuse de l’accepter, mais parce que le 11 janvier est une date qui frappe une corde sensible chez moi. Je m’arrête en pensant «ah, on est le 11 janvier». Avant-hier, encore endormie et sous-caféinée, quand j’ai finalement allumé sur la date, des images anciennes, mais très nettes, ont commencé à défiler dans ma tête, comme si je revivais des évènements arrivés hier et non en 2001.

Commémorer mon entrée officielle en sclérose en plaques

Je me souviens de m’être réveillée dans le lit à baldaquin trop grand pour mon petit appartement d’étudiante, avec la fausse cheminée et les murs vert mousse. Le temps, comme aujourd’hui, était gris et bruineux, un peu trop doux pour la saison. Je me souviens que mon père est venu me chercher dans sa fourgonnette pour nous emmener, ma mère et moi, à mon rendez-vous en neurologie. Je me souviens des longs couloirs de l’hôpital, de la salle d’attente bondée de visages fatigués et, enfin, du médecin qui m’a montré six taches blanches sur mon IRM. Elles confirmaient que j’avais la sclérose en plaques (SP). Je me souviens du calme avec lequel j’ai reçu la nouvelle, et plus tard, de mon hostilité envers les infirmières de la clinique. Je me souviens d’avoir essayé de faire des blagues avec mon neurologue dépourvu d’humour. Même à l’époque, j’avais le sentiment qu’une partie du fardeau de cette maladie serait de rassurer les autres en leur disant que ça va, que je vais bien.

Dans la vraie vie, ce n’était pas rose du tout. C’était terrifiant à mort.

Les choses qu’on entend

Je me souviens du soulagement que mon père a ressenti lorsqu’il a entendu «sclérose en plaques» et non «tumeur au cerveau». Plus tard, il a été mal à l’aise, je crois, lorsque, en feuilletant les brochures qu’on m’avait remises, je lui ai demandé «Dysfonction sexuelle? Qu’est-ce que ça veut dire?». Je me demandais aussi comment allaient réagir les gens qui m’avaient déjà dit que «les jolies filles n’attrapent pas de maladies» ou que «Le bon Dieu ne laisserait jamais une chose pareille arriver à quelqu’un comme toi». Je me souviens de m’être assise sur le lit, à côté de ma mère, en lui demandant d’appeler mes amis pour leur annoncer la nouvelle. Ce n’est pas parce que je ne pouvais pas supporter de dire: «J’ai la sclérose en plaques», mais parce que je ne pouvais pas supporter leurs réactions.

Le 11 janvier 2001 divise l’histoire de ma vie en deux périodes.

L’Avant et l’Après.

L’état de choc

Sur le coup, les choses se sont passées au ralenti et des détails de toutes sortes en ont profité pour se graver dans ma mémoire à long terme. Je me souviens de ces détails avec une clarté en technicolor, sauf que ce n’était pas une journée colorée. Tout était en noir et blanc. Je me souviens être allée au cinéma ce soir-là, juste pour faire quelque chose de normal, pour me convaincre que la vie allait rester la même. Je me souviens que l’intrigue du film (Billy Elliot), n’était pas assez distrayante pour me sortir de ma propre réalité. 

Je me souviens avoir regardé autour de moi, frappée par ce sentiment étrange qui survient lorsque le monde a arrêté de tourner pour vous, mais qu’il continue pour les autres. Par exemple, pourquoi tout le monde n’avait pas le même air abasourdi que moi? J’ai entendu des rires et je me suis demandé comment c’était possible que ces gens ne sachent pas que TOUT ÉTAIT DIFFÉRENT MAINTENANT.

Les psychologues qualifieraient ce voyage impromptu dans mes souvenirs de réaction anniversaire, ce qui sonne vaguement festif, mais ne l’est pas du tout. La bonne nouvelle, c’est que c’est une réaction prévisible, et tout à fait normale à un traumatisme non résolu. Dans mon cas, la réaction anniversaire ne me perturbe pas vraiment, ça ressemble plus à de la mélancolie. Et je me demande s’il peut sortir quelque chose de bon de ce regard en arrière, du fait de revivre ces émotions.

Pas de cadeau,

Quand je repense à cette journée et à tout ce qui a suivi, je mesure l’énormité de l’évènement. Se faire annoncer qu’on a la sclérose en plaques, c’est géant. Alors, je peux bien m’arrêter une fois par année pour le commémorer. Pour dire bon sang, ça m’est arrivé. Et si c’est une réaction anniversaire,

on devrait m’offrir un cadeau.

Mais il semble que je ne mérite pas de cadeau puisque ma réaction serait due au fait que je n’ai pas réussi à résoudre ce traumatisme maudit.

Dix-sept ans après mon diagnostic, j’avoue, je n’ai toujours pas réussi. Les sentiments qui me reviennent de ce jour-là, alors que j’étais à peine adulte et dépendante de mes parents, sont encore si souvent présents que j’ai l’impression d’avoir échoué la partie acceptation de la maladie. Je suis une grande personne, pourquoi est-ce que je n’y arrive toujours pas?

mais quelques fières chandelles

Mais ces 17 ans de recul m’ont appris que la SP est une cible mouvante et qu’il est impossible de surmonter le deuil de quelque chose qu’on a pas encore perdu. Ce n’est même pas du deuil à ce point-ci, c’est de l’anxiété et c’est inutile. Oui, j’ai vraiment besoin d’apprendre à méditer correctement. Et peut-être que je ne mérite pas de louanges pour être restée si cool devant la progression de ma maladie, mais je pense que je mérite un peu d’égards. Pour avoir réussi à accepter un paquet de choses emmerdantes. Par exemple, ma vision est nulle, je ne conduis plus. C’est fini. Toute cette histoire de cathéter? J’ai fini par m’y faire. Et je me suis ralliée aux aides à la mobilité. 

La SP est dure, mais moi aussi. Je suis forte. Et c’est la vraie leçon de ces 17 premières années sur le territoire de la sclérose en plaques. Je vais continuer à flipper de temps en temps, mais au final, je suis plutôt résiliente. Je suis toujours là.

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